Tuesday, July 17, 2007

Projet: Modes de déplacement à la marge dans la ville européenne

Mon projet sera axé autour des modes de déplacement marginaux dans la ville européenne. Ces modes de déplacement qui peuvent, par exemple, utiliser des « véhicules » tels les paires de rollers, ne sont généralement pas conçus comme des modes de transport, mais plutôt renvoyés (par les utilisateurs comme par les observateurs ou les administrations) comme relevant de la sphère ludique ou expressive.

Quel est le statut de cette marginalité dans le vécu des différents acteurs ? Quel est le rapport entre dimension expressive et dimension technico-pratique, à la fois dans les représentations des gens et dans les situations créées de fait ? Comment peut se gérer la contestation implicite ou explicite manifestée par l’irruption de ces usages nouveaux ? Telles sont les principales questions que l’enquête de terrain tâchera d’éclairer.



Premières pistes de problématique :

Ce projet de recherche part de la constatation que les villes d’Europe sont aujourd’hui confrontées à l’irruption de modes de déplacement relativement nouveaux, mais qui ne sont pas pour autant des modes de transport, ou en tout cas - et en première approche - ont plutôt tendance à être présentés par les pouvoirs publics comme des obstacles supplémentaires à la gestion planifiée des transports urbains. Le cas des utilisateurs de rollers (ou « patins en ligne ») peut servir ici d’exemple premier dans la mesure où c’est un phénomène d’ampleur notable qui semble en voie d’ascension, tout au moins dans une ville comme Paris, la comparaison internationale s’avérant ici indispensable.

Cependant, au-delà de ce cas de figure particulier, il s’agira de s’interroger sur le phénomène de démultiplication des modes de déplacement en tant qu’il remet en cause des modèles “ rationnels ” d’organisation du transport et de répartition de l’espace urbain. Autrement dit, de porter notre attention aux phénomènes qui contestent (de façon implicite ou de façon revendiquée) une politique de mobilité dans la ville définie d’en-haut.

I. Les émergences de modes de déplacement dans l’espace urbain contemporain

Dans cette première partie de l’enquête, je resituerai l’apparition et la diffusion de modes de déplacement du genre du skate-board ou du roller en prenant le cas de deux ou trois villes européennes : une ville française, une ville italienne et éventuellement une ville britannique : quelles sont les dates et les modalités concrètes de cette émergence ? Quels sont les espaces investis ? Les temporalités, les périodicités ?
Quelles sont les justifications et les significations données à ces usages nouveaux par les acteurs ? L’aspect ludique d’expression de soi et de jouissance à travers la vitesse et la virtuosité supplante-t-il totalement l’aspect fonctionnel ?
Quelles sont les résistances émanant de l’environnement ? des pouvoirs publics municipaux ?
Quelles sont les solutions existantes, les compromis possibles, les aménagements obligés au code de la route ?

La place du désordre dans l’aménagement du transport urbain

Au-delà du problème fonctionnel qui se pose à chaque fois qu’apparaît ou réapparaît un mode de transport marginal par rapport à celui dominant (par exemple, le vélo revenant demander une place sécurisée, autonome, à côté de l’automobile), il faut prendre en compte que certains modes de déplacement sont revendiqués pour leur aspect contestataire, destructurant, voire anarchique et qu’il est vain de vouloir à tout prix les normaliser puisque leur séduction tient justement à ce qu’ils se posent en dehors des normes : le roller ou le skate sont-ils dans l’ordre du déplacement ce que le verlan est au français châtié ? Il importe évidemment de vérifier les limites d’une telle hypothèse et ses déclinaisons selon les types d’usagers. Tous ces derniers n’expriment sans doute pas la même volonté contestataire ; certains peuvent trouver que l’aspect utilitaire est premier dans leur choix du véhicule (le roller plus que le skate où prédomine l’idée de performance réalisée sur des spots, des “ haut-lieux ” où peut se réaliser au mieux la monstration de l’habileté à manoeuvrer .

Méthodologie et planification du projet

La première partie sera consacré à un travail de problématisation et de préparation des observations. La deuxième partie sera dévolus au travail d’enquête dans les villes désignées par plages de temps à définir. L’enquête mettra en œuvre : l’observation directe pour évaluer l’ampleur, la fréquence, la géographie du phénomène ;
les entretiens avec des acteurs (utilisateurs, administration urbaine, spécialistes des transports, etc.)

Projet:Eléments d’analyse de l’organisation et du fonctionnement de l’Observatoire Parisien de la Démocratie Locale

Après quatre ans d’existence (installation en juillet 2003), les éléments du bilan présentés ci-dessous permettent d’avancer quelques préconisations pour l’éventuel renouvellement d’un tel organisme.


I. La participation : un enjeu considérable mais complexeOuvrir le gouvernement de la Ville de Paris à la participation de ses habitants est un enjeu d’une portée considérable pour le contenu des politiques publiques autant que pour les modalités de leur élaboration et de leur mise en œuvre et que pour les pratiques des acteurs concernés. L’importance de l’enjeu n’a d’égal que sa complexité. La participation démocratique s’inscrit en effet dans des formes très diversifiées : information, consultation, concertation, co-production ou co-gestion, auxquelles s’ajoute la prise en compte d’initiatives autonomes des habitants. Cette complexité est accrue du fait que ces formes diverses de la participation peuvent se recouper et se mêler et qu’elles ont toujours en outre à la fois une dimension individuelle et collective.

A cette diversité des formes de la démocratie participative s’ajoute la diversité des lieux où elle est appelée à s’exercer. On peut distinguer :

- les lieux qui lui sont explicitement dédiés, c’est-à-dire les différentes « instances » créées par la loi ou la délibération municipale : conseils de quartier, comités d’initiative et de consultation d’arrondissement (CICA), conseils de la jeunesse, de la vie étudiante, de la citoyenneté des Parisiens non communautaires, maisons des associations, près de 190 « instances » (! !) ;
- les actions d’aménagement urbain, à l’échelle de la ville (PLU, PDP, …), d’une partie de la ville (le tramway, les halles…), la ZAC (Paris Rive Gauche…), d’un quartier (le carreau du Temple…) ;
- les initiatives des habitants pour interpeler « la ville » ou prendre en charge une fonction d’utilité collective ;
- les relations entre un service public et ses usagers (l’école, les crèches, le logement, la propreté, l’eau, les transports, les équipements et services sociaux…) ;
- les institutions délibératives et exécutives de la démocratie représentative (les conseils et les maires et adjoints d’arrondissement, le conseil de Paris et son exécutif « politique », les services de l’Hôtel de Ville…).


II. Un outil inadapté à la dimension de l’enjeu

L’OPDL avait pour mission d’observer et d’évaluer l’ensemble de la démarche de démocratie participative dans toute la diversité des formes qu’elle peut revêtir et des lieux où elle peut s’exercer. Il devait en outre porter ses analyses et préconisations éventuelles auprès du Maire et les mettre en débat auprès de tous les acteurs concernés pour « pousser les feux » de la participation démocratique. L’ampleur de la tâche était, par définition, à la hauteur de l’enjeu. Mais, par nécessité, les moyens dont il disposait pour la remplir ne l’étaient pas, ni ses moyens humains, ni ses moyens institutionnels. Comment ses moyens humains auraient-ils pu être à la dimension de sa mission ? 28 bénévoles aux disponibilités variables mais en tout état de cause excessivement limitées et un appui technique de la « mission démocratie locale », certes de grande qualité, mais encore plus étroitement limité en disponibilité compte tenu de la modestie des effectifs de cette petite équipe, de l’étendue de ses autres responsabilités et de la surcharge de travail qui en découle… Voilà pour ses moyens humains.

Quant à ses moyens institutionnels, c’est-à-dire son positionnement par rapport à « l’institution » municipale, ils se sont, à l’expérience, avéré poser un certain nombre de problèmes pour un bon accomplissement de sa mission. Certains problèmes relèvent inévitablement de la « relativité » de son « indépendance ». Indépendant dans le choix de ses problématiques et de ses méthodologies, l’OPDL, en tant que commission extra-municipale, ne l’est pas pour autant dans deux domaines importants, l’accès au terrain et la publicité de ses travaux, où ses initiatives sont soumises à l’accord préalable de « l’autorité » municipale, ce qui peut parfois entraîner certains retards… En outre, sur un plan purement matériel, le rattachement juridique à la collectivité territoriale soumet l’OPDL aux contraintes et procédures qui en relèvent, notamment pour l’achat de biens ou prestations nécessaires pour son travail, ce qui, là aussi, peut entraîner certains retards voire certaines dépenses inutilement élevées.

Le plus lourd toutefois parmi les handicaps résultant de son positionnement institutionnel est l’ambiguïté de son statut « d’extériorité » par rapport aux champs de politique publique concernés par ses investigations. La « participation » en effet ne prend sens et efficience qu’en référence à des enjeux concrets, objets de décisions politiques. Or ceux qui gèrent ces espaces décisionnels, les élus et services concernés, ne sont pas présents à l’OPDL, comme si leur implication aurait pu nuire à la qualité de « l’observation » alors que c’est l’inverse qui est vrai. Depuis longtemps les chercheurs en sciences sociales ont reconnu la valeur ajoutée pour la recherche que constitue l’implication des acteurs sociaux dans le travail de recherche qui les concerne. Cette démarche de « recherche participative » est à l’évidence encore plus valable quand la participation constitue l’objet même de la recherche.

Cette extériorité de l’OPDL par rapport au champ qu’il est tenu « d’observer » se double d’une autre extériorité, celle de la responsabilité politique en matière de démocratie locale par rapport aux autres champs de responsabilité politique de l’équipe municipale. On a positionné la démocratie locale comme une responsabilité particulière, un « secteur » à part, détaché des autres, existant en soi et pour soi et non comme une responsabilité transversale, partagée par l’ensemble des secteurs de responsabilité politique. Un tel détachement, une telle extériorité, pose problème ; d’abord, sans doute, à l’adjointe déléguée à cette mission quant au positionnement de son champ de compétences par rapport à ceux de ses collègues mais aussi à l’OPDL lui-même pour l’appréhension de son objet d’investigation comme pour la conduite sur le terrain dans tel ou tel champ de politique publique où sa légitimité d’intervention doit chaque fois être redéfinie. On soulève ici un problème politique de fond qui dépasse évidemment celui du statut d’une adjointe et, a fortiori, celui du statut de l’OPDL. C’est celui du statut de la participation démocratique dans le projet politique d’ensemble de la municipalité.

Revenant toutefois au statut de l’observatoire, son extériorité est en outre relativement ambiguë. Elle est totale concernant les champs de politique publique mais elle n’est que partielle concernant les « instances » de démocratie participative puisque la moitié de ses membres en sont issus. Mais seuls siégent à l’OPDL ceux qui, dans ces instances, sont en position d’être consultés et non ceux qui les consultent et qui ont la responsabilité de mettre en place et de faire vivre ces instances. Cela peut induire des difficultés de positionnement personnel des « représentants » de ces instances au sein de l’OPDL, tiraillés entre le risque d’être accusés de trahir, par leurs observations critiques, ceux qui les ont mandatés et de gêner la mission des élus en charge de leur instance, soit, au contraire, de leur être trop soumis.


III. Des résultats limités mais néanmoins intéressants

Malgré la modestie de ses moyens et les ambiguïtés de son statut l’OPDL a pu réaliser des travaux de qualité dont font état ses rapports annuels (dont le contenu ne sera pas repris ici). Quelques remarques supplémentaires concernant la nature de sa production doivent cependant être faites dans ce bilan.

1. D’abord quelques remarques préalables concernent la qualité de la participation des membres de l’OPDL à ses activités. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre la coopération des deux « collèges » composant l’OPDL (14 représentants des « instances », 14 personnalités qualifiées) n’a pas constitué un problème en tant que telle. Les quelques rares difficultés relationnelles et les différences de disponibilité ou d’intérêt pour tel ou tel aspect de ses activités se sont manifestées autant à l’intérieur de chacun des deux collèges qu’entre eux. A l’expérience seule une petite moitié des membres de l’OPDL s’est vraiment impliquée dans la durée, tant pour participer aux réunions plénières que pour conduire des actions « de terrain », et ceux qui assistèrent le plus régulièrement aux plénières n’étaient pas tous investis dans des actions de terrain et inversement. Il est évident que les moyens limités de l’OPDL peuvent en grande partie expliquer la participation également limitée de ses membres.

2. Concernant son champ d’investigation, c’est là que la modestie de ses moyens d’action s’est fait le plus sentir.
A l’évidence la couverture systématique et en continu du fonctionnement et plus particulièrement des réunions de toutes les instances dédiées à la participation démocratique et des autres procédures de concertation associées aux différentes opérations d’urbanisme était hors de portée.
Même la tentative initiale de répartir entre les membres de l’OPDL le seul suivi des 121 conseils de quartier s’est avérée intenable. Restait la valorisation de l’expérience et de la compétence personnelle des uns et des autres à leur initiative ou à la demande de l’OPDL, au gré des opportunités et des disponibilités. Ainsi un petit collectif s’est constitué au sein de l’OPDL pour organiser et animer des séminaires ouverts au public qui ont connu un réel succès et suscité des interventions « de tribune » et des débats de qualité. Ainsi un membre de l’OPDL a mis son expérience militante, son expertise en matière d’urbanisme et ses compétences de journaliste au service de l’observatoire, prenant l’initiative d’analyser en profondeur et dans la durée un certain nombre d’opérations d’urbanisme. Ainsi un autre s’est attaché à l’analyse du fonctionnement des CICA en prenant appui sur un long passé de militant et responsable de comités de quartier et sur sa participation à l’élaboration de la loi qui les avait institués en 1982. Ainsi un autre membre de l’OPDL, partie prenante de la commission nationale du débat public, a mis sa compétence au profit de l’analyse du débat public organisé pour la création du tramway… Ainsi l’OPDL a pu bénéficier de la compétence de certains de ses membres universitaires mobilisant leurs étudiants pour réaliser une étude sur l’impact sur les services de leur ouverture à la participation des habitants. Ainsi etc. etc.

Beaucoup de terrains d’investigation possible n’ont toutefois pu être couverts, beaucoup de questions n’ont pu être explorées. Ainsi, par exemple, concernant l’impact de la participation démocratique sur le fonctionnement des institutions de la démocratie « représentative », un premier aspect a pu être partiellement exploré, à savoir l’impact sur certains services, démontrant l’intérêt crucial de cette question, mais rien n’a été fait concernant l’évolution des pratiques politiques des élus ; ainsi également, l’équilibre des pouvoirs entre les mairies d’arrondissement et l’Hôtel de Ville, le rôle des maisons des associations et bien d’autres questions importantes qu’on a pu identifier, n’ont fait l’objet d’aucune investigation de l’OPDL.

Rien non plus n’a pu être entrepris par l’OPDL pour explorer les conditions de participation des usagers des grands services publics parisiens ou pour analyser les conditions et modalités de mobilisation collective des parisiens sur les enjeux municipaux. Quant à la mise en débat, tant les séminaires de l’OPDL que sa participation à l’animation de débats des « printemps de la démocratie » montrent l’intérêt que pourrait avoir le développement de ses responsabilités dans ce domaine, mais soulignent aussi combien le peu qu’il a pu apporter aurait pu être mieux valorisé. L’entretien d’un débat public sur l’enjeu et les modalités d’une ouverture de la démocratie à la participation des citoyens demeure le moyen le plus sûr et le plus puissant pour la faire progresser. Ce devrait être une des missions essentielles d’un observatoire de la démocratie locale.


IV. Quelques suggestions pour un nouvel observatoire parisien de la démocratie locale
Elles résultent directement de ce rapide bilan.

1. Pour remédier aux inconvénients de l’extériorité de l’OPDL par rapport à ce qu’il doit observer, extériorité qui nuit tant à la qualité des diagnostics, des études et des évaluations qu’à l’appropriation des résultats de ses investigations par toutes les parties concernées : inclure toutes les catégories d’acteurs concernés dans la construction et le pilotage du projet et du programme de travail de l’OPDL.

2. Pour sortir du positionnement sectoriel de la problématique de la participation démocratique et affirmer au contraire sa transversalité, et donc celle de la mission assignée à l’OPDL, positionnement transversal de l’OPDL nécessaire tant à la mise en évidence de la pertinence de ses analyses pour les différentes politiques publiques sectorielles de la ville qu’à l’implication solidaire des adjoints et directions sectorielles concernés dans la mise en œuvre de sa mission : positionner l’OPDL directement auprès du Maire ou de son premier adjoint.

3. Pour remédier à la disproportion des moyens de l’OPDL par rapport à l’ampleur de sa tâche, à l’étendue de ses champs d’investigation et au nombre et à la diversité du problème à étudier : renoncer à la conduite en « régie directe » de toutes ses investigations et sous- traiter les études qu’il juge nécessaires à des organismes qualifiés.

Pour ce faire il doit évidemment conserver
- d’une part la capacité et la légitimité politique de choisir les problèmes méritant étude et d’en circonscrire la problématique,
- d’autre part la capacité et la légitimité scientifique de définir le cahier des charges de ces études, d’en choisir les opérateurs et d’en contrôler la réalisation.

4. Pour traduire ces principes dans la structure et le mode de fonctionnement de l’OPDL

a. Distinguer en son sein : - Un niveau de responsabilité politique partagée, sorte de conseil d’orientation, où seraient représentées toutes les « parties prenantes » (stakeholders) d’une politique de participation démocratique parisienne. Devraient notamment en faire partie : une représentation pluraliste du conseil de Paris, des responsables politiques et administratifs issus des principales directions sectorielles concernées, des responsables politiques et administratifs concernés de mairies d’arrondissement de la majorité et de l’opposition, une représentation des « instances » dédiées par la loi ou par la délibération du Conseil de Paris à la participation démocratique (conseils de quartier, maisons des associations, CICA notamment,), une représentation des dynamiques associatives de participation citoyenne (associations de défense des droits, ADELS, FONDA, centres sociaux, régies de quartier, cafés citoyens…).
Un bureau exécutif restreint en serait issu, présidé par une personnalité dont la compétence et l’impartialité devraient être reconnues par tous.
Ce conseil d’orientation serait chargé de circonscrire les champs de problèmes à étudier et d’y identifier les questions prioritaires, de construire l’agenda des travaux correspondant (dont les études à sous-traiter) et d’en arrêter le budget, d’en vérifier et valider la réalisation et d’en organiser la diffusion et la mise en débat.

- Un niveau de responsabilité scientifique, sorte de « conseil scientifique », composé de chercheurs spécialisés dans l’étude de la démocratie locale, issus des différentes disciplines concernées (sociologie, science politique, droit, urbanisme, géographie urbaine, histoire…).
Ce conseil scientifique serait chargé, par délégation du conseil d’orientation, d’élaborer la problématique et les principes méthodologiques des études à sous-traiter, d’en élaborer les cahiers des charges, d’en choisir les maîtres d’œuvre et d’en suivre la réalisation.
Un dispositif de représentation croisée et de concertation périodique entre le conseil d’orientation et le conseil scientifique veillerait à la cohérence d’ensemble de l’OPDL.

b. Clarifier les relations entre l’OPDL et l’exécutif parisien
Quel que soit le statut juridique de l’OPDL (association liée à la collectivité par une CPO, commission extra-municipale, « autorité » sui generis) l’essentiel est la clarté de ses relations avec la Mairie.
Résultant de la volonté politique de la Mairie de promouvoir la participation des parisiens et d’en évaluer les conditions et les effets, l’OPDL est, par définition, partie prenante de ce projet. Il en partage les intentions et est comptable, dans le cadre de sa mission, de leur réalisation, comptable devant le Maire.
Parallèlement, pour bien faire son travail, il doit être détaché de toute imputation partisane. L’autonomie et la rigueur scientifique de sa démarche conditionnent sa crédibilité, sa capacité d’investigation et l’utilité collective de sa production.
Bien au-delà du nécessaire arbitrage entre ce qui relève de la saisine et de l’auto-saisine dans la construction de son agenda, ce qui est plus fondamentalement en cause ici c’est la bonne articulation entre les deux faces de sa responsabilité :
- responsabilité vis à vis de la mairie, devoir de mettre en œuvre la mission qui lui est confiée et d’en rendre compte,
- responsabilité vis à vis de lui-même, devoir de faire vivre et d’assumer l’autonomie de ses choix et démarches « scientifiques », tant dans la définition de ses objets d’étude et dans la conduite de ses investigations que dans la diffusion et la mise en débats de leurs résultats.

Ni service municipal, ni bureau d’étude, l’OPDL est un organe « politique » responsable au double sens défini ci-dessus. Plus que dans la définition procédurale détaillée des termes du contrat qui le lie à la ville, c’est dans l’explicitation des engagements moraux réciproques des uns vis à vis des autres, de leur accord sur des principes partagés, des « règles du jeu » plus encore que sur des règles de droit, bref dans un socle de confiance mutuelle que réside la meilleure garantie d’un exercice « responsable » de sa mission. C’est aussi le moyen d’éviter les lourdeurs et lenteurs de procédures minutieuses d’autorisation et de contrôle des actes de l’OPDL, exercice procédural de sa responsabilité nuisible tant à l’efficacité de son travail qu’à la qualité, la crédibilité et l’utilité de sa production.
Pour la mise en œuvre d’un projet d’observatoire à l’ambition ainsi réaffirmée et renouvelée des moyens plus importants sont à l’évidence nécessaires. Il appartient donc à la Mairie de les lui fournir, tant en moyens humains permanents (un « délégué général » ou « directeur » ( ?) et des moyens de secrétariat) qu’en moyens financiers (budget de fonctionnement et crédits d’études).
Plutôt que de confier à l’OPDL lui-même la gestion de ces moyens humains et financiers il serait infiniment préférable de continuer à la confier à la « Mission démocratie locale » de la mairie, charge à elle de les mettre à disposition de l’OPDL. La qualité des relations de coopération qui se sont nouées depuis quatre ans entre la Mission et l’OPDL augure bien de leur développement dans un projet d’observatoire beaucoup plus ambitieux. En outre les complémentarités et synergies entre les responsabilités de la Mission et celles de l’observatoire auraient tout à gagner de la poursuite de cette coopération respectueuse de l’identité et de la spécificité du rôle de chacun.

Tuesday, May 29, 2007

Etre un «clandestin»

l'histoire d'un "clandestin" se résume à la misère d'une condition, l'espoir d'une nouvelle vie, l'arrivée dans un pays fantasmé, la brutalité des lois. Chaque vie a droit à une part clandestine, hors de la transparence de l'état ou du marché, chacun ou chacune a droit à son jardin secret, mais personne ne tient à cultiver dans l'angoisse. Or chez celui et celle qui ne l'a pas choisie, la clandestinité est une angoisse permanente.
Etre "clandestin" c'est se trouver ravalé à la seule condition d'individu qui a franchi de façon illégale des frontières, cependant que les causes de cet acte, souvent indispensable à la préservation de l'intégrité physique et psychologique de son auteur, sont placées hors champ. Etre un «clandestin», ici, c'est être sans histoire personnelle, sans passé, sans antécédent, sans autre antécédent du moins que la violation des dispositions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers. Au terme de ce mouvement, il n'y a donc plus ni hommes ni femmes fuyant des conditions d'existence jugées insupportables par eux, mais seulement des «Africains» et des «Maghrébins», qui, par l'argent, la ruse et le recours à des passeurs, ont réussi à déjouer les mesures destinées à contrôler l'accès au territoire national. La surexposition langagière, politique et médiatique du «clandestin» est au coeur de deux phénomènes politiques distincts mais étroitement articulés : la criminalisation de ce type d'immigration, présentée comme un danger majeur ; et la légitimation de l'ensemble de la chaîne répressive, des arrestations aux expulsions en passant par l'incarcération et le placement en zone de rétention.Souvent euphémisée en «retour dans le pays d'origine», l'expulsion par voie aérienne constitue la dernière et la plus spectaculaire de ces étapes. De là le recours aux charters, qui permettent de procéder à des reconduites massives et spectaculaires d'étrangers en situation irrégulière dans leur pays d'origine. De telles pratiques, rappelle Alvaro Gil-Robles, commissaire européen aux Droits de l'homme, ont «pourtant été fortement critiquées par la Commission nationale de déontologie et de sécurité et jugées contraires au droit français par le Conseil d'Etat». Au nom de l'urgence et de la gravité supposées de la situation provoquée par les «clandestins», on assiste donc au triomphe de la raison d'Etat sur des principes pourtant jugés essentiels au bon fonctionnement de l'Etat de droit. Enfin, contrairement à la convention des Nations unies relative aux
droits de l'enfant et à la loi française qui /«précise que l'étranger mineur ne peut pas faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière» /(article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile), des enfants sont placés en centre de rétention en vue de leur expulsion.
De quel côté est la raison ? Celui de l’Etat et du droit légitimes en
démocratie ou celui de la résistance à des dérives politiques, parfois
catastrophiques, dont l’histoire nous enseigne le caractère récurrent y
compris en régimes démocratiques ?

Monday, May 28, 2007

Vieillir en exil

Il s'agit d'une part de prendre en compte le phénomène de l'exil dans ses dimensions sociologiques et psychologiques. L'individu qui a dû quitter son espace d'interconnaissance subit - que son départ soit volontaire ou non - un déracinement qui peut être vécu comme une expérience traumatique et une crise d'identité qui peut prendre des formes régressives diverses (souvent liées à des souvenirs et des expériences antérieures). Mme de Staël écrivait que « l'exil est quelquefois, pour les caractères vifs et sensibles, un supplice beaucoup plus cruel que la mort ». Privé de ses racines habituelles, le sujet peut voir divers sens altérés. Celui de l'espace, car les distributions et articulations topologiques de la ville étrangère sont différentes. Celui du temps, car les rythmes quotidiens et professionnels ont changé. Celui des valeurs enfin, car le pays d'accueil a une autre histoire, d'autres repères idéologiques, linguistiques, politiques et religieux, et les valeurs morales tout comme les comportements interactionnels, les moeurs et même les habitudes alimentaires n'obéissent pas aux mêmes règles. Il s'agit bien sûr de difficultés liées aux relations d'interculturalité, mais ces difficultés dépassent de beaucoup, les obstacles habituels dans la mesure où le vieillissement (avec le double sens de l'irréversible : irréversibilité du temps dans le vieillir et irréversibilité d'une trajectoire individuelle qui a perdu l'espoir d'un retour au pays natal) apporte avec lui une distance, un écart de soi à soi particulièrement douloureux et qui ne peut qu'aggraver la crise identitaire que le déplacement a pu engendrer.

Aussi « vieillir » en exil est-il une expérience qui a des conséquences multiples, singulières et originales. La vieillesse comme l'exil sont des phénomènes de contrainte : l'une a des causes chronologiques et biologiques, l'autre de manière générale répond à des facteurs d'ordre politique ou économique. Chaque fois il y a franchissement d'une frontière, celle de l'âge, et celle établie par les États. Dans les deux cas le sujet est poussé dans un territoire nouveau et inconnu. Chaque fois il y a écart, rupture et exigences d'adaptation et d'apprentissage dans un milieu ressenti souvent de manière hostile ou aliénant. Une coupure qui peut provoquer un ressassement régressif de sa vie antérieure, un phénomène d'hypersémantisation du passé, une fétichisation du souvenir, ainsi que le montre par exemple le roman de José Donoso, Le jardin d'à côté, racontant l'exil en Espagne de Chiliens après la chute d'Allende. Le personnage principal, Julio Mendez, écrivain exilé à Madrid, se trouve à un tournant dangereux de sa vie, où, à une difficile intégration s'ajoutent la prise de conscience du vieillissement, l'impuissance devant la création littéraire et la pénible recherche d'équilibre d'un couple fatigué. Nombre de ces Chiliens, figés dans leurs souvenirs, ont peu à peu perdu le sens du réel et de l'histoire, au point même que le retour est devenu tragiquement impossible. Car l'un des paradoxes du retour de l'émigré est que celui qui rentre n'est plus le même que celui qui était parti, et qu'il rentre dans un pays qui lui-même a changé entre-temps

Aux difficultés d'ordre psychologique bien connues s'ajoutent des difficultés concernant une insertion sociale rendue plus difficile en raison de la langue, de la culture et de l'histoire. Mais ces crises peuvent être d'autant plus fortes que le sujet se trouve fragilisé par ce qui peut apparaître également comme son propre exil intérieur : le vieillissement, cet exil de soi à soi, dans un sens cette fois-ci figuré.

L'entrée dans la vieillesse se caractérise en effet par des reconfigurations d'ordre tant social que psychologique. Ces reconfigurations sont d'autant plus malaisées que les repères ont été déplacés, modifiés, bouleversés.
Pour l'être en exil , il s'agit de trouver sa place - mais celle-ci est d'autant plus difficile que le sujet est âgé, l'âge ajoutant un handicap supplémentaire à la situation première.

Vieillir en exil, c'est vivre une coupure tragique avec la terre natale, ses origines, ses racines, son moi antérieur et aussi avoir pour perspective la pensée d'un retour interdit, impossible. De vivre dans l'irrémédiable, ce que l'idée présente de la mort ne fait qu'accentuer. Vivre en exil, c'est vivre un deuil, être en deuil.
Vieillir en exil, c'est vieillir deux fois. Mais en plus de cela, on constate que la précarité dans laquelle vivent certains migrants ne fait qu'accentuer un vieillissement prématuré. Ce que Philippe Pitaud dans une approche de gérontologie sociale souligne en évoquant les nombreuses difficultés concrètes du migrant âgé qui souvent vit en dehors de tout réseau familial, dans la précarité. Le centre social de Belsunce à Marseille établit des bilans médicosociaux et un suivi psychologique dont bénéficient certains migrants dans la perspective d'une survie dans une société dans laquelle ils n'ont guère accès aux droits.

La littérature a dépeint les douleurs de l'exilé. Victor Hugo s'écriait : « Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime ! » et l'exilé Du Bellay recrée un monde familier dans une poésie de l'exil qui est aussi une poésie de la révolte. « La Muse ainsi m'a fait sur ce rivage / Où je languis banni de ma maison, / Passer l'ennuy de la triste saison / Seule compagne à mon si long voyage ». On retrouvera Du Bellay avec l'essai de Maria Litsardaki, mais également les expressions de ce mal du pays qu'est la nostalgie, chez Salman Rushdie, Abla Farhoud, Shenez Patel, Mimika Kranaki, Else Lasker-Schüler, Barbey d'Aurevilly, Javier Cercas, Modiano et quelques autres, conscients de l'irréversible et mortel arrachement de soi aux autres et de soi à soi-même. Mais sans doute l'accent est-il mis ici sur un aspect négatif de la migration. Car il est aussi, il convient de le rappeler fortement, des exils salutaires, qui sauvent la vie des gens. Il est aussi des adaptations à de nouveaux mondes réussies et des reconstructions de soi heureuses et épanouies. Enfin vieillir peut être aussi vécu comme une expérience spirituelle enrichissante. Cette distance qu'instaure le vieillir avec soi et qu'instaure le déplacement dans un autre pays peut être un moment de maturation et de retournement, une crise qui peut être un recommencement ou une réélaboration de l'existence et de ses sens. Il est vrai cependant que cela reste assez exceptionnel.

LA CHUTE DES ANGES: À PROPOS DES VERSETS SATANIQUES

En 1990, Salman Rushdie entreprend de clarifier le point de vue qu'il adopte dans Les Versets sataniqueS : il s'agit de définir

la vision du monde d'un émigré. Le roman est écrit à partir de l'expérience même du déracinement, de la rupture et de la métamorphose (lente ou rapide, douloureuse ou agréable) qui est la condition de l'émigré, et, dont [...] on peut tirer une métaphore valable pour toute l'humanité

À partir de cette expérience, dans ce roman relativement peu étudié en France , sera examinée la double problématique de l'exil et du vieillissement, emblématisée par un motif récurrent : la chute abyssale de plus de huit mille mètres, « angélico diabolique » (« angelicdevilish fall ») , de deux AngloIndiens rescapés de l'explosion d'un boeing, qui ouvre le roman, vers les rivages de l'Angleterre ; elle renvoie aux traditions judéo-chrétienne et islamique de la chute des anges, qu'il s'agisse de l'ange autrefois porteur de lumière, appelé aussi Chaytan (l'adversaire), ou des nephilim, ces anges attirés sur terre par la.beauté des filles des hommes. En quête d'eux-mêmes, les deux protagonistes, jumeaux et doubles inversés, entament une vertigineuse descente dans l'allégresse inspirée par les nuages changeants. À cette légèreté et cette apesanteur succède et s'oppose un atterrissage lourd de causes et de conséquences. Dans une société qui les rejette ces émigrés connaissent un exil atroce, mais ils en sont, au moins en partie, responsables. Avec un regard lucide et sans complaisance Salman Rushdie examine en 1988 le thème de l'exil qui inclut sa propre condition et son identité inclassable : « écrivain indopakistanais-résident-britannique ? On voit à quelle folie on arrive quand on cherche à enfermer les écrivains dans des passeports »5. De fait, la folie se généralise dans ce roman foisonnant où l'illusion est maîtresse, dans les procédés d'écriture tout comme dans les mises en scène de l'exil.

VOIR JÉRUSALEM ET MOURIR

Il est des exils que l'on choisit et d'autres que la vie vous impose. Else Lasker-Schüler (1869-1945) en qui Gottfried Benn voyait la plus grande poétesse de langue allemande a connu les deux. Après avoir déserté le monde confortable de la bourgeoisie pour émigrer dans la bohème berlinoise et y vivre déguisée en Orientale, Else Lasker-Schüler, que ses origines mettaient en péril, décida en 1933 de quitter l'Allemagne pour la Suisse. C'est au cours de cet exil de six ans qu'à l'invitation d'un couple de mécènes elle se rendit pour la première fois en 1934 dans cette Terre promise où la conduisait depuis toujours son imagination poétique. À l'occasion d'un troisième périple en 1939, en raison de la situation politique internationale, Else Lasker-Schüler se vit refuser par la Suisse son visa de retour. Ce qui devait n'être qu'un voyage devint un autre exil. À soixante-dix ans, celle qui se considérait comme la lyre du peuple juif fut donc contrainte de s'établir en Palestine, de recommencer une nouvelle vie dans ce pays qui lui avait inspiré tant de livres depuis les Ballades hébraïques' (1913) jusqu'au Pays des Hébreuxz (1937).

Au-delà des expériences communes à tous les exilés, l'histoire d'Else LaskerSchüler présente un intérêt spécifique lié à l'itinéraire particulier de l'écrivain, à sa personnalité hors du commun ainsi qu'à son judaïsme.
Dans la biographie d'Else Lasker-Schüler, la Palestine apparaît comme le dernier rêve brisé d'une femme déjà malmenée par la vie. L'exil fut comme un coup de grâce, une invitation à fuir hors de ce monde que reflète la tonalité nettement religieuse des derniers poèmes.

Il semble toutefois que l'écrivain ait largement forcé le trait et dépeint un exil plus noir qu'il ne fut en réalité. On peut ainsi se demander si la vieillesse combinée à l'exil n'avait pas exacerbé - et n'exacerbe pas en général - des tendances pathologiques latentes.
Une autre question tient enfin au judaïsme d'Else Lasker-Schüler. Au sens strict, un juif ne saurait être en « exil » en terre d'Israël puisqu'il s'agit d'un retour dans la « terre des ancêtres ». Pourtant Else Lasker-Schüler se sentit étrangère parmi les siens. C'est donc, à l'intérieur du judaïsme, à toute une réflexion sur les notions de patrie et de racines qu'invite l'histoire de l'exil tardif et de la vieillesse douloureuse d'Else Lasker-Schüler à Jérusalem.

Benoît PIVERT

Tuesday, February 20, 2007

La démocratie participative, remède de la démocratie représentative?

La démocratie participative, est-elle un remède de la démocratie représentative?
La critique de la démocratie de représentation ou de délégation est ancienne, comme le montre l'histoire de la démocratie étudiée par Pierre Rosanvallon. Aux arguments de juristes (la représentation est une fiction puisque ni les électeurs ni les circonscriptions ne disposent d'un pouvoir à transmettre), se sont ajoutés ceux de politiques : faible représentativité des élus au regard de la diversité du peuple; confiscation de la démocratie par la bourgeoisie pour masquer sa domination... Ils convergent vers l'idée largement partagée d'une « crise de la démocratie représentative » et la recherche de remèdes à celle-ci.

Le renouvellement des critiques

Cette critique s'amplifie et prend un nouveau sens dans les années qui suivent l'adoption de la Constitution de la Ve République, puis avec le mouvement de i968. Le numéro de la revue Pouvoirs, paru en 1978, consacré au régime représentatif est intéressant parce qu'il assure la synthèse et la diffusion d'idées développées dans des études universitaires publiées ou en cours sur le sujet (comme la thèse de Dominique Turpin, De la démocratie rePrésentative). L'énoncé des critiques de la représentation débouche sur la question : 1a représentation est-elle une technique dépassée ? Bien que la revue propose une réponse nuancée (appel à l'instauration d'un nouveau système représentatif), l'examen des arguments témoigne de l'ampleur donnée au problème. Les griefs anciens sont repris pour en montrer l'aggravation : ainsi il existe une difficulté croissante à « représenter à la fois "la nation", plus petit dénominateur commun entre des millions d'individus originaux, et sociologiquement chacun d'eux dans soli unicité ». Surtout de nouvelles critiques apparaissent, qui prennent en compte les transformations de la société et des techniques. Elles soulignent le décalage grandissant entre les formes actuelles de démocratie et le contexte : 1a représentation par les élus est concurrencée par le développement des mass-media modernes et des sondages; les « farces vives » qui pourraient assumer une part des responsabilités ne sont pas représentées; la complexité croissante des affaires économiques tend aussi à priver les élus d'une part de leur pouvoir au profit des experts, « techniciens administratifs et techniciens syndicaux ».

« Contre la politique Professionnelle »
Parmi ces critiques, la dénonciation de la professionnalisation de la vie politique trouve un nouveau souffle, comme le montre le livre de Jacques Julliard, Contre la politique professionnelle paru en 1977. La personnalité de l'auteur témoigne de la diffusion du thème. Ancien rénovateur de l'UNEF et du SGEN qu'il a contribué à écarter de l'influence du PCF, aux premiers rangs de la CFDT pour engager les militants dans le mouvement en 1968, collaborateur d'Esprit et du Nouvel Observateur, il est « un passeur que seuls arrêtent les dogmatismes ». Partisan de la « stratégie autonome » à l'égard des partis, il a cependant appelé et activement participé aux Assises du socialisme. Contre la politique professionnelle est aussi le témoin d'une conjoncture : 1977 est l'année où le Parti socialiste prend l'ascendant sur le Parti communiste au sein d'une Union de la gauche déchirée, où le débat sur les modèles organisationnels s'aiguise, où l'enjeu d'une « nouvelle culture politique » prend forme.

Le livre de Jacques Julliard reprend les critiques de la « langue de bois » des hommes politiques, du décalage entre langage et réalité, de l'imperméabilité des cercles dirigeants des partis aux débats de la base, de la prétention des partis à se comporter « comme des ordres spirituels », et met en cause la professionnalisation de la vie politique. II l'analyse comme « une des formes de division sociale du travail qui ont marqué le développement de la société industrielle [...] et celui de l'État moderne ».

Décapant dans son titre, l'ouvrage est cependant modéré dans ses conclusions. Tout en évoquant la proposition faite par Moïsei Ostrogorski au début du siècle de substituer aux partis des organisations temporaires, à but déterminé, il appelle à modifier les structures de ceux-ci pour en faire des « partis au service du mouvement » (selon le modèle du Parti radical italien ). Concrètement, il s'agit de faire du PS « un carrefour des forces vives de la gauche française » (id.). II incite aussi à donner plus de place à d'autres organisations (syndicats, groupements et sociétés de pensée, etc., dans la mise en oeuvre de la démocratie.
La construction de l'idée de « démocratie participative »
L'idée de démocratie participative se développe à partir du milieu des années 1950 et culmine dans la deuxième moitié des années 1970 avec une orchestration associative reprise en mineur par le Parti socialiste. La participation est parée des qualités nécessaires pour remédier aux tares de la représentation.

La démocratie participative, complément et correctif de la démocratie représentative
La distinction entre démocratie représentative et démocratie participative est explicitée par Pierre Mendès France dans La République moderne (1962) : il s'agit de « dépasser l'étape de la démocratie traditionnelle de représentation pour réaliser la démocratie de participation ». Celle-ci a, selon lui, une première qualité: elle apporte une continuité dans le temps et ainsi soutient l'intérêt des électeurs. « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une case, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s'abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen » Elle a aussi l'avantage de favoriser le contrôle sur les élus, et de vivifier ainsi la vie politique : « Si cette présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements [...], les fonctionnaires, les élus [...] cèdent bientôt soit aux tentations de l'arbitraire, soit aux routines et aux droits acquis »

Le thème de la participation s'inscrit ainsi dans un courant ancien pour lequel la mobilisation active, la conscience du citoyen sont des conditions du bon fonctionnement de la démocratie. L'opposition au gaullisme, à la guerre d'Algérie donne une nouvelle audience à ces idées, qui s'étendent bien au-delà de l'influence propre du Parti radical. La démocratie participative est donc d'abord pensée comme une école de citoyenneté : elle combat l'indifférence, éveille aux enjeux politiques et forme aux responsabilités. Elle ne se substitue pas à la démocratie représentative, mais en restitue les fondements, la complète. Le Parti socialiste est particulièrement à l'aise dans la rhétorique de la complémentarité lorsqu'il s'adresse aux associations du cadre de vie : « Toutes les propositions socialistes dans ce domaine visent à développer un droit à la participation des usagers [...] Un tel choix [l'autogestion] suppose une démocratie participative qui complète une démocratie élective »

La démocratie participative, outil de contestation du système politique
La critique des défauts de la démocratie représentative débouche dans les années 1970 sur une double contestation, exprimée par des courants de pensée inspirés par le marxisme. À la contestation du système politique et social, s'ajoute celle du principe même de représentation : puisque la démocratie représentative ne peut rendre compte des contradictions sociales, des revendications exprimées dans des luttes, elle doit laisser la place à un autre mode d'organisation politique. L'exemple-type qui est donné à l'époque est celui des luttes qui se mènent contre la destruction de quartiers anciens ou leur réaménagement. Appelées « luttes urbaines » par le Centre de sociologie urbaine dirigé alors par Manuel Castells, elles sont considérées comme « rebelles à la représentation ». Plus largement, l'accent est mis sur le fait que certaines grèves, certains mouvements subvertissent les systèmes politiques locaux, en opposant aux décisions étatiques et municipales des mobilisations populaires, ou de manière plus novatrice, des contre-propositions. Dans cette perspective, la démocratie participative doit remplacer la démocratie représentative.

La lutte des habitants du quartier de l'Alma Gare à Roubaix, organisée par l'Association populaire des familles, a souvent été considérée comme l'expérience emblématique de la démocratie participative. L'étude que j'ai menée montre cependant une réalité plus complexe. Commençant par la contestation contre la démolition du quartier, l'association invente des formes de participation pour faire valoir et rendre réalisable un projet de réhabilitation prenant en compte les exigences des habitants. Le long processus qui conduit à la définition du nouveau quartier montre l'imbrication originale de formes de démocratie participative et représentative. La participation existe à deux niveaux : celui des habitants, dont les demandes sont en partie traduites en projets architecturaux et d'aménagement urbain par une équipe d'architectes et de sociologues ; celui des animateurs de la lutte qui participent aux réunions d'un « Groupe de travail » chargé de formaliser un accord entre les parties concernées. Le Conseil municipal, instance de représentation, en validant l'accord, le
time et confirme la prééminence du politique. Mais le système ne fonctionne que parce qu'il comporte tout un ensemble de médiations : techniciens de l'urbanisme faisant l'interface entre leur organisme, le Parti socialiste et les habitants, élus municipaux, responsables associatifs. Enfin, si la participation est accompagnée d'une pression populaire organisée par l'association, le processus maintient un arbitrage du politique entre des choix. Cette disposition rend bien compte de l'articulation qui s'opère entre le rôle de l'association - élaborer des propositions - et celui de l'instance élue - choisir parmi les possibles -; entre participation et représentation.

Cet exemple, par son caractère exceptionnel, montre aussi les limites de la réflexion sur les formes concrètes et les apports de la démocratie participative. La participation ne dépasse guère l'horizon du quartier, et se heurte en général aux faibles moyens tant financiers que d'expertise des associations. Au mieux capable de fournir les termes d'un choix, elle reste sans influence sur le système politique local.

Tuesday, September 26, 2006

Pour une histoire des populations noires en France

Pour une histoire des populations noires en France
Depuis une vingtaine d'années, un assez grand nombre d'historiens ont enquêté et publié à propos des relations entre la France, l'Afrique et les Antilles, depuis l'époque classique et l'établissement des économies esclavagistes jusqu'à la période contemporaine post-coloniale marquée par des phénomènes migratoires importants. L'esclavage, la colonisation et les migrations sont aujourd'hui des champs d'études reconnus (bien que dominés) qui ne marginalisent plus radicalement ceux qui s'en réclament.
Pourtant, les travaux sur les populations noires de France (en particulier celles installées dans l'hexagone) sont rares : du point de vue de l'histoire et des sciences sociales, les Noirs vivant en France sont pratiquement invisibles. Il est sans doute intéressant et utile de s'interroger sur les raisons de cet angle mort de la recherche, à quelques notables exceptions près, dont on suspecte qu'il a eu, au-delà du monde universitaire, des conséquences socio-politiques. Mais avant de réfléchir avec vous sur les raisons de cette absence, je voudrais ouvrir brièvement trois dossiers historiques qui me semblent peser assez lourd dans cet héritage invisible.

Le dossier de l'esclavage
L'histoire de l'esclavage est un champ actif de la recherche universitaire dans de nombreux pays, mais en France, elle demeure à l'écart des grands cursus universitaires, et même, très largement, des manuels scolaires. Il est certes, des voix historiennes de grande qualité, mais elles sont isolées.
L'esclavage est un des grands phénomènes mondiaux à l'origine du monde moderne. Par exemple, il n'est pas possible de comprendre la croissance économique française des 18e et 19e siècles si on fait l'impasse sur la traite et l'esclavage. Les historiens réinsèrent la traite et le grand commerce colonial dans les histoires nationales européennes (non seulement du point de vue classique de la croissance économique, mais aussi des structures sociales et des représentations culturelles fondatrices de la modernité européenne), mais les travaux universitaires ne sont pas pris en compte par l'enseignement secondaire.
Pourtant, la France fut un grand pays organisateur de trafics négriers, avec la Grande-Bretagne et la Hollande. La plupart des ports français ont armé des navires négriers, et certains doivent même à la traite une part importante de leur prospérité, comme Nantes (42% de la traite française), Bordeaux, La Rochelle et le Havre, dont les navires ont transporté un million et demi d'Africains. Les Antilles françaises ont reçu plus d'un millions d'Africains, les Guyanes 400 000 (pour un nombre total d'esclaves transportés vers les Amériques un peu supérieur à onze millions de personnes).
Ce sont des dizaines de milliers de noms qu'il faudrait recenser pour cerner l'importance de la population française concernée par la traite : armateurs, négociants, financiers, constructeurs, raffineurs, fabricants, détaillants... Au total, des centaines de milliers de Français ont participé de façon directe et indirecte à la traite.
En 1985, la municipalité nantaise continuait de regarder son passé négrier de travers en refusant de soutenir le Colloque international sur la traite des Noirs organisé par Serge Daget à l'occasion du tricentenaire du Code Noir. En 1992, la municipalité suivante prenait le pari d'afficher ce même passé dans une exposition intitulée "les Anneaux de la Mémoire". Il est en projet un mémorial de l'esclavage, mais il est clair qu'il n'existe pas en France de musée national de la traite et de l'esclavage (pas plus qu'aux Etats-Unis d'ailleurs).
Mais il ne s'agit pas de minorer, ou même d'oublier les traites transahariennes et en direction de l'Europe. L'esclavage a d'abord été un système de traite transatlantique et de plantations sur les continents américains, mais il a aussi concerné directement la France. Jusqu'à la fin du 15e siècle par la "filière saharienne", puis par la filière atlantique à partir du 16e siècle, des esclaves africains furent importés en Europe. Mais leur nombre demeura faible.
A partir du 18e siècle, des milliers de Noirs, libres et esclaves, s'installèrent (ou furent installés) en France. Seulement, ils ne venaient pas directement d'Afrique mais avaient transité par les colonies. Noirs de pure souche africaine, mulâtres ou créoles, il s'agissait le plus souvent de jeunes garçons quel les capitaines, les armateurs ou les colons ramenaient en France pour les avoir à leur service ou leur faire acquérir une technique qui en fasse de meilleurs domestiques, cuisiniers ou perruquiers. Devant la fréquence de ces arrivées, l'Etat craignit que les esclaves ne soient affranchis en trop grand nombre ou ne contractent en France des habitudes et un esprit d'indépendance qu'ils ne manqueraient pas de répandre à leur retour aux îles. En 1738, l'Etat prit des mesures drastiques : 1/ Les esclaves ne pouvaient plus prétendre à la liberté du fait de leur présence dans le royaume - ce que permettait un Edit de 1315 qui stipulait que tout esclave touchant le sol français devenait automatiquement libre ; 2/ Le séjour des esclaves était limité à trois ans - le temps qu'ils apprennent un métier. Passé ce délai, les maîtres perdaient la caution de mille livres désormais versée pour chaque esclave débarqué en France. Ces mesures ne furent pas appliquées avec la rigueur voulue et le nombre des Noirs ne diminua pas.
En 1777, l'Etat frappa un grand coup en refusant totalement l'accès de son territoire aux hommes et aux femmes de couleur, mais les injonctions de cette Déclaration du roi pour la Police des Noirs ne furent pas plus suivies que les précédentes. En 1778, l'Etat interdisait les mariages mixtes.
La Révolution mit fin à ce processus deségrégation commencé sous Louis XIV. En1791, elle accorda la liberté et la citoyenneté à tout homme demeurant en France quelque soit la couleur de sa peau, et en 1794 elle rendit la liberté à tous les esclaves, mais ce n'était que provisoire, puisque Napoléon a rétabli l'esclavage en 1802, et qu'il est demeuré légal jusqu'en 1848. La présence de populations noires en France hexagonale dans la première moitié du 19e siècle n'a pas encore été étudiée par les historiens.
On lira Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d'histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 ; "La vérité sur l'esclavage", L'Histoire, octobre 2003.

Le dossier de la colonisation
Contrairement à l'esclavage, l'histoire de la colonisation fait l'objet d'un renouveau très net depuis quelques années, de la part d'historiens britanniques, américains, et maintenant français. Gilles Manceron parlera tout à l'heure de la colonisation, mais je voudrais souligner quelques points :
- malgré l'intérêt des études récentes sur le moment colonial et la colonisation, on ne peut pas parler de champ d'études reconnu appuyé sur des institutions solides.
- l'enjeu de l'histoire de la colonisation ne consiste pas seulement à examiner sous des angles nouveaux le fait colonial, mais aussi à réintégrer le fait colonial dans l'histoire de ce pays, qui le rejette le plus souvent dans ses marges. Car il n'a pas existé d'un côté une "France coloniale" (celle des milieux économiques, politiques, religieux, qui ont participé directement à la colonisation) et, d'un autre côté, une "France nationale" qui n'aurait rien à voir avec la première. Au contraire, la colonisation a été au cœur de l'histoire nationale. Il s'agit plutôt de nouer les fils d'une histoire commune de la France et de son Empire, des effets de celui-ci sur celle-là.

- l'histoire, très en vogue, des stéréotypes et des imaginaires coloniaux est certes intéressante, mais elle exclut les colonisés, réduits à des représentations racistes. La réappropriation du passé colonial ne passe pas seulement par des études sur les imaginaires coloniaux, mais par des explorations socio-historiques du "monde colonial" sans oubli commode de la parole des colonisés.
- enfin, l'enjeu de mémoire est important : faut-il rappeler qu'il n'existe pas de musée de la colonisation, et que les manuels scolaires ne retiennent que les rencontres initiales et les décolonisations, en faisant silence sur l'exercice même de la domination coloniale?

On lira : Pascal Blanchard, Eric Deroo, Gilles Manceron, Paris noir, Paris, Hazan, 2001 ; Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Culture coloniale : la France conquise par son empire, 1871-1931, Paris, Autrement, 2003, et Culture impériale : les colonies au coeur de la République, 1931-1961, Paris, Autrement, 2004 ; Isabelle Merle, L'Etat colonial, Politix, 2004.


Le dossier des migrations
L'histoire de l'immigration africaine est un territoire historien très marginalement exploré. On peut la résumer grossièrement à quatre mouvements :

- une filière scolaire et universitaire ancienne de formation d'élites africaines dans le cadre colonial (qui alimente les mouvements indépendantistes à partir de la fin du Première Guerre mondiale), qui se poursuit après l'indépendance ;

- une filière militaire qui s’est mise en place dès la première guerre mondiale (1914-1918) avec la mobilisation des colonies par la France (bataillons de tirailleurs sénégalais et d’Africains noirs participant aux combats en 14-18, 1940-1945 et dans les guerres coloniales qui ont suivi). Si la plupart des survivants sont rentrés à la fin de la guerre, certains sont restés et se sont installés en France ;

- une filière de travail : après la Première Guerre mondiale, militaires démobilisés, travailleurs manuels originaires du continent sont recensés dans les villes portuaires (Marseille, Bordeaux, Le Havre) mais aussi à Paris. Les ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal (Soninké et Toucouleur du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie) sont déjà significativement représentés dans cet ensemble. Mais le flux de travailleurs s'accrut à partir du début des années 1960, lorsqu'une migration est organisée pour l'industrie française (dont les gains de production se font par accroissement de main d'œuvre plutôt que par la productivité des machines). A cela il faut ajouter l'arrivée en grand nombre d'Antillais à partir du début des années 1960, par une filière de travail organisée, et à qui des emplois sont réservés (dans le secteur public ou para-public plutôt que dans l'industrie, ce qui leur assure une position socioéconomique plus stable que celle des Africains)

- une filière familiale à partir de la fin des années 1970 : l’arrivée des femmes africaines entraîne un processus de féminisation, mais aussi de rajeunissement et de familialisation de l’immigration africaine qui donnera naissance à une seconde génération d’Africains noirs, citoyens français de droit (par le droit du sol) ou présumés tels depuis les lois Pasqua-Debré (remise en cause du droit du sol et option à l’âge de 18 ans).
En fait, les années 70 annoncent la poursuite et le développement de toutes ces filières migratoires avec une modification du projet initial : ainsi, les migrations d’étudiants deviennent, avec la crise des pays africains, des migrations de travail et les migrations de travail, à 1’origine tournantes et provisoires, tendent à être définitives. En somme, il y a une convergence de ces divers flux et projets migratoires vers un enracinement et une sédentarisation en France.

Pour chacune de ces filières migratoires, les travaux historiens sont peu nombreux ! Il est significatif que l'histoire de l'immigration, qui s'est beaucoup développée depuis les années 1980, ait prêté si peu d'attention aux Africains noirs, par contraste avec l'immigration européenne, qui a fait l'objet de travaux remarquables, et même à l'immigration maghrébine, sur laquelle des jeunes historiens se penchent depuis peu.
Pourquoi cela ? Que l'immigration africaine soit active aujourd'hui, par contraste avec l'immigration européenne assez largement tarie, devrait au contraire susciter des intérêts universitaires… il n'en est rien! Il n'y a que très peu de travaux sur les Africains et Antillais de France (on citera Christian Poiret, Familles africaines en France, Paris, L'Harmattan, 1996, Catherine Quiminal, Gens d'ici, gens d'ailleurs : migrations Soninké et transformations villageoises, Paris, Bourgois, 1991, "Africains, citoyens d'ici et de là-bas", Hommes et migrations, 1987 ; Philippe Dewitte, Les mouvements nègres en France, 1919-1939, Paris, L'Harmattan, 1985, et "un siècle de présence africaine en France", Historiens et géographes, 2003).


Pourquoi l'invisibilité des Noirs dans l'histoire française et les sciences sociales?

1- La fiction d'une France éternelle, dans laquelle les étrangers viendraient s'assimiler, a marginalisé l'histoire de l'immigration par contraste avec des pays comme les Etats-Unis où l'immigration a une place centrale dans les représentations nationales.

2- l'histoire et les sciences sociales françaises ont d'abord été marquées par la prévalence des critères de classe dans l'analyse des rapports sociaux, qui les ont conduit à minorer, voire ignorer d'autres facteurs comme les facteurs de genre et ethno-raciaux.

3- La hiérarchie des sujets d'histoire et de sciences sociales a reproduit la hiérarchie sociale (elle même dérivée des anciennes classifications raciales plaçant les Noirs tout en bas de la hiérarchie).

4- L'objet "noir" est problématique, contrairement à l'objet "italien" ou "polonais", circonscrit par des appartenances nationales revendiquées. La constitution de l'objet est problématique puisqu'elle repose sur des critères éminemment contestables de la couleur de peau ou de l'appartenance ethnique, critère que, précisément, les sciences sociales déconstruisent. Autrement dit, la question de l'existence d'une "communauté noire" ne va pas de soi, puisqu'elle regroupe des groupes de personnes très hétérogènes les uns aux autres (avec des temporalités historiques très différentes).

5- La visibilité politique des Noirs est faible, par contraste avec les Nord-Africains dont la mobilisation politique, à partir de la fameuse "marche des beurs" en 1983, leur a permis d'émerger, difficilement, en tant qu'acteurs civiques, et que sujets pour les chercheurs.

On peut donc estimer qu'une meilleure visibilité historique et sociologique des populations noires de France passe par leur meilleure visibilité socio-politique, et donc par l'invention de formes de mobilisation appropriées. La "France pour tous" passe aussi par des travaux d'histoire et de sciences sociales qui portent sur les Noirs de France, et par l'insertion de ces travaux dans les programmes scolaires, et, plus largement, dans la mémoire collective.

Friday, September 02, 2005

Citoyenneté et démocratie!

La citoyenneté de résidence à l'épreuve
Comment ouvrir le champ politique à celles et ceux que ses règles excluent dans leur état actuel? Comment des populations démunies de citoyenneté pourraient-elles avoir accès à la représentation politique, à la délibération? Tel est le paradoxe devant lequel se trouvent, aujourd'hui encore en France, les étrangers ressortissants de pays extérieurs à l'Union européenne et les français qui avec eux militent pour le droit de vote de tous les étrangers. Cette revendication pose un problème particulier dans un pays comme la France pour deux raisons liées à la représentation nationaliste qu'elle se donne d'elle-même, à savoir sa centralisation et le lien qu'elle a institué entre nationalité et citoyenneté. La notion de citoyenneté de résidence, sur laquelle se fondent la plupart des mouvement militant pour le droit de vote de tous les étrangers, ouvre une voie possible de ré-définition de la citoyenneté politique, dans un contexte où la construction de l'Europe s'est accélérée, et à partir d'arguments renvoyant l'histoire française de la période révolutionnaire. Donner son plein sens à la citoyenneté de résidence, c'est non seulement inclure des exclus du jeu politique, mais c'est modifier la légitimité de la citoyenneté politique pour lui proposer un autre fondement commun.
Cette citoyenneté dont il est question n'est donc pas un statut juridique. C'est n'est pas non plus vraiment une identité. Il s'agirait plutôt d'une pratique: la participation politique!
Pour ainsi réfléchir à la question de citoyenneté, je partirai d'une définition inspirée de sources très différentes.
Etre citoyen, c'est:

1) Se sentir membre d'une communauté dont on partage les valeurs, accepter le pacte social, plus ou moins explicite, qui lie entre eux les membres de cette communauté par des obligations et des droits (Le Pors, 1999: 7).

2) Disposer de la possibilité effective d'exercer sa citoyenneté, c'est à dire jouir des libertés individuelles et collectives et être dans une situation matérielle, économique et sociale propice à l'exercice de la citoyenneté (T.H. Marshall, in Kymlicka, 1992: 2).

3) Lorsqu'on dispose de cette possibilité, l'exercer vraiment, c'est à dire participer d'une manière ou d'une autre à la vie de la communauté, sur les plans: local, régional ou/ et national (non seulement payer ses impôts et voter, mais aussi être actif dans une association, un syndicat, un parti, sur le lieu de travail, etc.: c'est la citoyenneté participative


L’état moderne est à la fois garantie de liberté et de sûreté, dans la mesure où il est le lieu de référence et parfois d’exercice de la citoyenneté et, parce qu’il est la continuation, la persistance d’un certain type de relation politique, il est et tend constamment à redevenir le relais de domination, d’oppression et de mise en condition idéologique (diffusion et rediffusion d’idéologie liées à la catégorie ou la classe dominante).
Dans ces conditions, parler, par exemple, de « transition démocratique » en cherchant quel rapport cela peut avoir avec une mutation sociale de longue durée n’est en réalité possible que si l’on remet entièrement en chantier la réflexion sur le caractère binaire de l’état moderne.

Inventée en Europe il y a plus de deux siècles la notion moderne de « citoyen » n’est saisissable qu’en mettant en évidence une « co-action » de l’état « historique » ou, disons, wébéro-marxien, et de l’état de droit, plus directement lié à l’éthique et à la pratique de la liberté. Avec la grande régression des pratiques démocratiques représentatives pluralistes représentée d’une part par l’instauration d’états issus de la « dictature du prolétariat » et d’autre part, par l’étatisme militariste et nationaliste (ce que Polanyi, dès 1945, décrivait comme la Grande Transformation intéressant une quinzaine de pays fascistes), qui devait bientôt être suivi, dans les grandes nations démocratiques par le « présidentialisme » et le bi-partisme », il était impossible de refuser un réexamen de la relation-coupure état/société civile proposée par Hegel ou plus exactement prétendument attribuée à Hegel, alors qu’il est patent que, parce qu’il est d’abord fondateur de la démarche anthropologique, ce dernier a montré que le politique, comme pratique, prend effectivement naissance dans le tissu social lui-même. Des séances ont été consacrées non seulement à Hegel. Principes de la philosophie du droit (et surtout à l’introduction de Jean Hypolite qui situe très bien la question de l’anthropologie) mais également, en partant de Eugène Fleischmann, la Philosophie politique de Hegel, à des notions très importantes avancées par Jügen Habermas dans son essai « Morale et communication ». Ainsi se dégagerait l’aspect essentiel de la citoyenneté qui ne serait pas une conformité mais le rôle actif et vigilant du citoyen. L’étatisme, surtout au XXe siècle, a porté tort à cette notion. Au cours des précédentes années, et contrairement à la demande « économisciste » qui tend à prédominer, on avait tenté de repérer, dans les littératures et les tentatives d’explication pour rendre compte des relations entre mutations sociales de longue durée et succession plus ou moins rapide ou rapprochée d’une part de « crises économiques » et d’autre part de « crises économico-politiques ». Parti du libéralisme, le régime bourgeois, tout en ouvrant la voie à l’expression démocratique égalitaire et pluraliste, avec exercice du « recours », y compris contre le pouvoir d’état (même si la « raison d’état » n’a jamais complètement disparu), s’est profondément transformé en autoritarisme avec le développement des idéologies du « tout état ».

Pour les catégories mal représentées ou non-représentées au pouvoir (les « classes dominées », « les exclus » ) la démocratisation peut, à certaines conditions, apparaître comme un instrument d’émancipation. Alors que pour les catégories déjà favorisées ou installées au pouvoir, les pratiques démocratiques s’avèrent être empiriquement des instruments de régulation. Dans les « pays du Nord », la démocratie devient, à partir d’un certain moment, une forme politique indispensable à la régulation et à l’atténuation provisoire des conflits.

Aujourd’hui, l’enjeu démocratique est ouvert pour les « classes dominées ». elles peuvent espérer gravir les échelons du pouvoir d’Etat mais à deux conditions : créer d’abord des contre-pouvoirs solides, ancrés dans le tissu social, capables de tenir tête aux médias (lesquels ? comment ?)et, plus encore, mettre en place des systèmes d’intervention et de gestion qui se substituent progressivement aux « professionnels de la politique ».


Tuesday, August 23, 2005

Le socialisme utopique: volonté de libérer la société de toute autorité gouvernementale!

Contribution à une réflexion significative sur les sociétés contemporaines

La société, c’est l’ensemble social dans lequel nous vivons. Ses contours sont assez imprécis : s’agit-il du pays ou l’on vit, de la partie du monde qui possède le même type d’organisation sociale (la société occidentale), du monde entier à l’époque contemporaine ? Quant à une société, il s’agit d’un groupe social manifestant une certaine permanence historique et présentant un ensemble d’habitudes de comportement et de pensée fortement reliées entre elles, et pouvant donner lieu à ce qu’on appelle une culture…On peut donc dire que le social ne se contente pas d’expliquer le social, mais aussi que le social engendre le social. Les rapports que les individus nouent entre eux constituent le social qui, à son tour, induit des rapports entre les individus. Comprendre un phénomène social, économique ou politique revient à déchiffrer sa « raison culturelle », en définitive, « c’est la culture qui constitue l’utilité ».

Dans le cadre de la réflexion sur les sociétés contemporaines, abordés en histoire, en philosophie et en sociologie contemporaine, l’accent est mis sur le sens de la réalité sociale, l’affrontement entre espaces publics et espaces économiques, entre mouvements sociaux et mouvements politiques.

L’individu et la société
L’occident n’impose-t-il pas au reste du monde sa propre définition des droits de l’homme et de la démocratie ? La culture africaine est-elle compatible avec le multipartisme ? L’islam est-il un obstacle insurmontable à l’intégration des arabes en Europe de l’Ouest ?
Comment redonner de l’élan à la démocratie, au pluralisme, aux droits des libertés, en les mettant à l’abri de toute entreprise totalitaire ? Comment garantir égalité des chances et justice sociale, assurer à chacun la sécurité à laquelle il a droit, sans pour autant niveler par le bas et décourager l’initiative ? Comment ériger la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux en priorité d’une économie dont il convient évidemment de ne pas casser le développement ? Comment dégager les ressources nécessaires à un équilibre inédit entre travail, formation, vie familiale, vie associative et loisirs dans un temps enfin libéré ? Comment se préparer à une répartition des richesses qui, à l’échelle du monde, respecte le droit de tous les peuples au développement ? Comment concevoir le rôle de l’état au service de tous ces objectifs, tout en construisant l’autonomie de chaque citoyen, de collectivité locale à son égard ? Bref, comment réinventer le rapport entre individu et société ? Des questions, parmi tant d’autres, auxquelles il faut répondre…

Comme les controverses sont des bons supports empiriques pour la compréhension d’un trait de l’état présent des démocraties modernes, l’analyse sociologique que nous proposerons s’appuiera sur trois caractéristiques de la controverse :
- Elle est une forme de mobilisation et d’action collective ;
- Elle est une suite d’interactions entre médias et protagonistes de la polémique ;
- Elle exige de penser l’articulation entre deux modèles habituellement opposés, le débat et le combat, ce qui nous amènera a analyser les conceptions du genre, les rapports entre égalités et différence.
Nous examinerons ce que produisent les changements d’échelle, en suivant notamment la construction des causes internationales.
En interrogeant les différentes modèles de transformation utilisables en sociologie contemporaine, nous étudierons les effets que produit la mobilisation d’instances internationales sur les « objets » les « réseaux » et les « milieux » auxquels se trouvent confrontés les acteurs.

Bien commun
Les citoyens sont-ils condamnés à demeurer enfermés dans l’actuel périmètre de l’horreur économique sans possibilité de réagir ? Existe-il d’autres pistes à explorer pour que l’humanité retrouve le sens du bien commun ?
Ces évidences ont été nourries par des « boîtes à idée » publiques et privées, comme la fondation Saint Simon en France, qui servait de pont entre droite et gauche, sous l’impulsion de François Furet, Pierre Rosavallon, Alain Minc, Emmanuel Le Roy Ladurie, Pierre Nora, Simon Nora, et Roger Fauroux. Ce dernier raconte : « nous avons pensé qu’il fallait que le monde de l’entreprise et celui de l’université se rencontrent (…). Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que ces rencontres ne pouvaient être fécondes et durables que si nous avions des actions concrètes à mener, ce qui exigeait un cadre juridique et de l’argent. Alors nous avons cherché des adhérents, d’où un aspect club. Chacun a rassemblé ses amis. François Furet et Pierre Rosanvallon dans l’université, Alain Minc et moi dans le monde de l’entreprise ».

Le club Jean Moulin, qui, à l’époque du gaullisme, regroupa syndicalistes, hauts fonctionnaires et intellectuels, fait figure de référence, au moins au départ. Roger Fauroux explique en effet que Jean Moulin avait « pratiquement fait passer toutes ses propositions en douceur, par les gouvernements soit de droite, soit de gauche . La fondation Saint Simon serait un projet intellectuel de réforme de la société porté par des « élites » prétendant incarner le « bien commun ». Mais, qu’en est-il aujourd’hui ?

Après l’Etat-nation et l’Etat-providence, c’est la citoyenneté elle-même qui est menacée de démantèlement au nom des impératifs du marché. L’entreprise de démolition s’attaque en fait à l’ensemble de la civilisation sociale bâtie au cours des XIXe et XXe siècles. Un sursaut collectif devient indispensable…
Après la nécessaire période d’observation et d’identification des problèmes actuels, accentués par la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’union soviétique, la critique s’est accentuée (description de la « pensée unique », des régimes « globalitaires », de la financiarisation de l’économie, du largage du sud, de la précarisation généralisée, des manipulations des esprits, etc.) Des informations de première importance, occultées par les grands médias, ont ainsi pu parvenir à un large public. Mais la critique, aussi constructive qu’elle soit, ne peut être permanente. Au risque de paraître répétitive et vaine. L’heure des propositions n’est-elle pas arrivée ? Mais avant, analysons les figures du pensable de Cornelius Castoriadis (philosophe qui a pensé l’imagination comme faculté politique). Cet ultime volume permet d’appréhender l’unité et l’originalité de la pensée de l’auteur à travers les différents champs dans lesquels elle se distribue : la poétique, l’économie, la politique, la psychanalyse et la logique.
Fondamentalement politique, cette philosophie est une théorie de l’imagination : l’imagination radicale est ce qui différencie l’homme des autres animaux à tel point que « les êtres humains se définissent avant tout non par le fait qu’ils sont raisonnables, mais par le fait qu’ils sont pourvus d’une imagination radicale ». L’imagination se situe à la racine de l’humain : sociétés, institutions, normes politiques et morales, philosophie, œuvres esthétiques.
Une grande idée s’articule à cette radicalité de l’imagination : les hommes et les sociétés sont des autocréations. La plupart des civilisations sont hétéronomes en masquant cet auto-engendrement. Quelques-unes ont pris le risque de l’autonomie. C’est dans la Grèce ancienne que, pour la première fois, les hommes se sont aperçus de l’origine simplement humaine des grandes significations (imaginaires) qui structurent la sociale ; de cette découverte, véritable « rupture historique », jaillirent la politique (« la mise en question des institutions existantes et leur changement par une action collective délibérée ») et la philosophie (« la mise en question des représentations et des significations instituées et leur changement par l’activité réflexive de la pensée »). La démocratie est la possibilité politique ouverte par cette rupture ; mais, étant contrainte d’inventer en toute connaissance de cause ses propres lois (de s’autolimiter), elle est un régime tragique, hanté par la remise en cause permanente de ses institutions. L’Europe post-médiévale a pris le relais de la découverte grecque de l’autonomie.

L’idéal démocratique est menacé par le capitalisme. La créativité politique semble aujourd’hui en panne. Tout se passe comme si l’imaginaire constitué par le capitalisme avait durablement bloqué l’imagination radicale créatrice. Cet extraordinaire ouvrage nous laisse devant un énigme : l’homme du début du XXIe siècle trouvera-t-il les ressources pour s’émanciper du capitalisme, reprenant les chemins de l’autonomie, ou bien continuera-t-il d’être englué dans ce « conformisme généralisé » qui caractérise nos temps de « privatisation de l’individu » ? faculté politique, l’imagination va-t-elle se remettre en marche ?

Interrogations contemporaines
La pensée contemporaine est hantée par l’absence d’absolu. Comment définir des fondements assurés pour la science, la morale, la politique, le droit, la justice…si l’on ne dispose pas d’un principe premier qui permet de les justifier ?

La crise de la raison
En philosophie, le XXe siècle peut être qualifié comme celui de la crise de la raison . Après que le mathématicien Kurt Gödel et son théorème d’incomplétude a ruiné l’idée de construire un langage logique totalement clos, que le physicien Heisenberg a montré que l’on ne peut isoler l’observateur et le phénomène observé, Karl Popper nous a convaincu qu’une théorie scientifique n’est pas celle qui dit une vérité définitive, mais celle qui accepte au contraire d’être soumise au principe de réfutation. Parallèlement, les philosophes de la déconstruction (Michel Foucault ou Jacques Derrida) se sont employé à montrer la vanité des grands discours et des modèles qui prétendent à l’universalité.
Dès lors, fallait-il céder au relativisme, au scepticisme, au nihilisme, au vagabondage intellectuel ? Ce n’est pas la voie qu’empruntent la plupart des auteurs contemporains. Un des défis majeurs de la pensée actuelle consiste pour l’essentiel à essayer de surmonter la « crise des fondements » sans céder à l’irrationalisme.

Pragmatisme, communication et complexité
S’il faut prendre acte de la crise de la raison absolue, il reste à trouver, selon Jürgen Habermas (théorie de l’agir communicationnel), les conditions d’un dialogue commun entre les hommes, fondé sur des principes communs d’argumentation. Pour Richard Rorty, c’est la libre discussion critique qui doit prendre le pas sur la recherche de la vérité ultime (l’espoir au lieu du savoir). Pour Edgar Morin (la méthode) la pensée de la complexité ouvre la voie à une pensée authentique, affranchie du dogme de la vérité absolue. Bref, c’est la voie d’un nouveau rationalisme, à la fois ouvert et critique que beaucoup de penseurs actuels s’attachent à tracer. La pensée y gagne en ouverture, elle y perd en assurance.

A la recherche d’un nouvel humanisme
Sur le plan moral, là encore, les philosophes sont soumis a ce défi : donner les assises d’une éthique, d’une justice, d’un droit, qui n’ait plus de fondement absolus.

En effet, on ne peut trouver ni en Dieu, ni dans la nature ou la raison les sources ultimes de la morale sur quoi justifier l’humanisme, les droits de l’homme, la justice.

Mais on trouve chez les auteurs aussi différents que Hans Jonas (le principe responsabilité), J.M. Besnier (l’humanisme déchiré)… une même quête : celle d’un espoir raisonnable qui aurait fait le deuil d’un idéal utopique.
Des sciences de l’esprit à la philosophie du droit

La question des fondements de la pensée ou de la morale est loin d’épuiser la réflexion philosophique contemporaine. Les débats sont riches et sans cesse renouvelés autour des sciences de l’esprit par exemple. Si le temps des grands systèmes est clos, les philosophes n’ont pas pour autant renoncé à penser. La postmodernité, la bioéthique, les droits de l’homme, la démocratie, le bonheur, la quête de sens ou les développements de la science contemporaine offrent encore des thèmes de réflexion pour une pensée en plein renouvellement.

Mutation du monde
En octobre 1917, dix jours suffirent à la révolution bolchévique pour « ébranler le monde ». Pour la première fois, le rouleau compresseur du capitalisme était durablement stoppé.
L’essor du capitalisme avait été stimulé par les travaux de grands théoriciens (Adam Smith, David Ricardo), par de décisives avancées technologiques (machine à vapeur, chemin de fer) et par des bouleversements géopolitiques (Empire Britannique, renaissance de l’Allemagne, puissance des Etats-Unis). Tout cela conjugué avait produit la première révolution capitaliste ; laquelle favorisa une considérable expansion, mais écrasait les hommes, comme en témoignèrent Charles Dickens, Emile Zola ou Jack London.

Comment tirer collectivement profit de la formidable richesse produite par l’industrialisation, tout en évitant que les citoyens ne soient broyés ? C’est à cette question que répondra Karl Marx, dans son œuvre majeure, le Capital (1867). Il faudra attendre cinquante ans pour qu’un stratège de génie, Lénine, parvienne à conquérir le pouvoir en Russie dans l’espoir messianique de libérer les « prolétaires de tous les pays ».

Quatre vingt ans plus tard, l’Union soviétique a fait naufrage, et le monde connaît une nouvelle grande mutation, que nous pourrions appeler la seconde révolution capitaliste. Elle résulte, comme la première, de la convergence d’un faisceau de transformations survenues dans trois champs :
- En premier lieu, dans le domaine technologique. L’informatisation de tous les secteurs d’activités ainsi que le passage au numérique (son, texte et images désormais transmis, presque instantanément, au moyen d’un code unique) bouleversent le travail, l’éducation, les loisirs, etc…
- En deuxième lieu, dans le domaine économique. Les nouvelles technologies favorisent l’expansion de la sphère financière. Elles stimulent les activités possédant quatre qualités : planétaire, permanente, immédiate et immatérielle. Le « big-bang » des bourses et la déréglementation, encouragée dans les années quatre vingt par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ont favorisé la mondialisation de l’économie, qui constitue la dynamique principale du tournant du siècle et à l’influence de laquelle nul pays n’échappe.

La révolution informatique a fait éclater la société contemporaine ; elle a bouleversée la circulation des biens et favorisé l’expansion de l’économie informationnelle et la mondialisation. Celle-ci n’a pas encore fait basculer tous les pays du monde dans une société unique, mais elle pousse à la conversion de tous vers un modèle économique unique par la mise en réseau de la planète. Elle crée une sorte de lien social libéral entièrement constitué par des réseaux, séparant l’humanité en individus isolés les uns des autres dans un univers hyper-technologique.
- En troisième lieu, dans le domaine politique, les deux bouleversements précédents mettent à mal les prérogatives traditionnelles de l’Etat-nation et ruinent une certaine conception de la représentation politique et du pouvoir. Celui-ci, naguère hiérarchique, vertical et autoritaire, apparaît de plus en plus structuré en réseaux, horizontal et grâce à la manipulation des esprits permettent les grands médias de masse-consensuel.

Déboussolées, les sociétés sont désespérément en quête de sens et de modèles, car ces trois grands changements se produisent simultanément, ce qui accentue l’effet de choc.

En même temps, deux des piliers sur lesquels reposaient les démocraties modernes, le progrès et la cohésion sociale, sont remplacés par deux autres, la communication et le marché qui en changent la nature.

La communication, première superstition du temps présent, nous est proposée comme étant susceptible de tout régler, en particulier les conflits au sein de la famille, de l’école, de l’entreprise ou de l’état. Elle serait la grande pacificatrice. Pourtant, on commence à soupçonner que son abondance même cause une nouvelle forme d’aliénation et que, au lieu de libérer, ses excès incarcèrent l’esprit.

Le marché a désormais tendance à inonder toutes les activités humaines, à les réglementer. Naguère, certains domaines : culture, sport, religion demeuraient hors de sa portée ; maintenant, ils sont absorbés par sa sphère. Les gouvernements s’en remettent de plus en plus à lui (abandon des secteurs d’Etats, privatisations).

Le marché est l’adversaire majeur de la cohésion sociale et de la cohésion mondiale, car sa logique veut qu’une société se divise en deux groupes : les solvables et les non solvables. Ces derniers ne l’intéressent guère : ils sont hors jeu.
Le marché est, intrinsèquement producteur d’inégalités.
Il y a soixante millions de pauvres aux Etats-Unis, le pays le plus riche du monde. Plus de cinquante millions au sein de l’Union Européenne, première puissance commerciale. Au Etats-Unis, 1% de la population possède 39% de la richesse du pays. Et, à l’échelle planétaire, la fortune des 358 personnes les plus riches, milliardaires en dollars, est supérieure au revenu annuel des 45% d’habitants les plus pauvres, soit 2,6 milliards de personnes…

La logique de la compétitivité a été élevée au rang d’impératif naturel de la société. Elle conduit à faire perdre le sens du « vivre ensemble », le sens du « bien commun ». Tandis que la redistribution des gains de productivité se fait en faveur du capital et détriment du travail, que le coût de la solidarité est considéré comme insupportable et que l’édifice de l’Etat-providence est mis à bas .
Tous ces changements structurels et conceptuels, à l’œuvre depuis une dizaine d’années, ont produit un authentique éclatement du monde.

Des concepts géopolitiques comme état, pouvoir, démocratie, frontière n’ont plus la même signification. Au point que, si l’on observe le fonctionnement réel de la vie internationale, on constate que ces acteurs ont changé.
Beaucoup se demandent comment penser le futur. Et expriment le besoin d’une nouvelle rationnalisation du monde. Ils attendent une sorte de prophétie politique, un projet réfléchi de l’avenir, la promesse d’une société réconciliée en pleine harmonie avec elle-même.

Mais y-a-t-il un espace, aujourd’hui, entre les ruines de l’Union soviétique et les décombres de nos sociétés déstructurées par la barbarie néolibérales ?
Cela semble peu vraisemblable, parce la méfiance à l’égard des grands projets politiques s’est généralisée et que l’on vit, en même temps, une grave crise de représentation politique, un énorme discrédit des élites technocratiques et des intellectuels médiatiques, et une rupture profonde entre les grands médias et leur public.

Beaucoup de citoyens souhaiteraient introduire une graine d’humanité dans la barbare machinerie néolibérale ; ils sont à la recherche d’une implication responsable, éprouvant un désir d’action collective. Ils voudraient affronter des responsables bien identifiés, sur lesquels déverser leurs reproches, leurs inquiétudes, leurs angoisses et leur désarroi, alors que le pouvoir est devenu largement abstrait, invisible, lointain et impersonnel. Ils voudraient encore croire que la politique a réponse à tout, alors que la politique a de plus en plus de mal à fournir des réponses simples et claires aux problèmes complexe de la société.

Chacun ressent pourtant, comme rempart contre la déferlante néolibérale, la nécessité d’un contre-projet, d’une contre-idéologie, d’un édifice conceptuel pouvant être opposé au modèle dominant actuel.
Mettre celui-ci sur pied n’est guère facile car, on part d’une situation de quasi-table rase, les précédentes fondées sur l’idée de progrès ayant trop souvent sombré dans l’autoritarisme, l’oppression et la manipulation des esprits.

Dans la société contemporaine, il devient indispensable, en conséquence de reintroduire du collectif porteur d’avenir . Et l’action collective passe désormais par des associations autant que des partis politiques ou les syndicats.
Les partis possèdent, entre autres, deux caractéristiques qui les rendent moins crédibles : ils généralistes (ils prétendent régler tous les problèmes de la société) et locaux (leur périmètre d’intervention s’arrête aux frontières du pays)
Les associations en revanche ont deux attributs symétriques et inversés par rapport à ceux des partis : elles sont thématiques (elles s’attaquent à un seul problème de la société : le chomage, le logement, l’environnement, la justice, l’égalité etc.) et transfrontières, leur aire d’intervention s’étend sur toute la planète (Act-up, Agir contre le chômage(AC), droit au logement (DAL), Green-peace, Amnesty international, Attac, Médecin du Monde, transparency, (World Wild life).

Si les associations naissent à la base, témoignant de la richesse de la société civile, et pallient les déficiences du syndicalisme et des partis, elles ne sont parfois que de simples groupes de pression et manquent de la légitimité démocratique de l’élection pour faire aboutir leurs revendications. Le politique prend à un moment ou à un autre le relais. Il est donc capital que le lien entre associations et partis se fasse.

Ces associations continuent de croire qu’il est possible, en se fondant sur une conception radicale de la démocratie, de transformer le monde. Elles constituent sans doute les lieux d’une renaissance de l’action politique en Europe et pourquoi pas dans le reste du monde.
Pour rétablir l’ONU (Organisation des Nations Unies) au cœur du dispositif du droit international, une ONG (organisation non gouvernementale) capable de décider, d’agir et d’imposer un projet de paix perpétuelle ; pour conforter des tribunaux internationaux qui jugeront les crimes contre l’humanité, contre la démocratie et contre le bien commun ; pour interdire les manipulations de masses ; pour mettre en terme à la discrimination des femmes ; pour rétablir de nouveaux droits à caractère écologique ; pour instaurer le principe du développement durable ; pour interdire l’existence des paradis fiscaux ; pour encourager une économie solidaire etc.
« Dans les chemins que nul n’a foulés risque tes pas, dans les pensées que nul n’a pensées risque ta tête », pouvait-on lire sur les murs du théâtre de l’odéon, à Paris, en mai 1968. Si nous voulons fonder une éthique du futur, la situation actuelle invite aux mêmes audaces.

Le virage social des ONG des droits de l’homme
Amnesty International s’engage dans la défense des droits économiques
Réuni à Dakar le 17 août, le 25e conseil international (AI) devrait entériner une modification de ses statuts afin de ne plus se cantonner à la défense des seuls droits civils et politiques, mais d’embrasser aussi les « droits économiques, culturels et sociaux ».

Extension naturelle
L’exercice s’annonce long et délicat. Car la focale de l’objectif s’élargit. Potentiellement, AI, et son million de membres présents dans 162 pays, pourrait se pencher sur le droit à la santé (et intégrer, par exemple, les campagnes pour l’accès aux médicaments antisida) ; faire du lobbying sur le droit à l’éducation (dénoncer les conséquences des plans d’ajustements structuraux de la Banque mondiale ou du FMI ; englober la pauvreté qui se traduit par la violation concrète des droits humains ; mener des actions contre les multinationales qui se compromettent avec des régimes répressifs ; ou les pousser à incorporer des codes éthiques.

Le 30 mai 2001, le rapport annuel d’AI s’articulait autour de la mondialisation. Son président de l’époque, Pierre Sané, concluait : « l’organisation ne peut se limiter à la défense des seuls droits civils et politiques, mais porter sur l’ensemble des droits fondamentaux de la personne humaine».

Ralliement
Amnesty International n’est pas la seule ONG des droits de l’homme à avoir fait cet aggiornamento. La LDH (Ligue des droits de l’Homme), la FIDH (fédération internationale des droits de l’homme), dénonçait, en 1997, à Dakar, l’illégitimité de la Banque mondiale et du FMI. L’organisation américaine Human Rights Watch (HRW), qui ne travaille qu’avec des experts, a créé, elle aussi, un bureau « business et droits de l’homme » en 1997, au moment où elle dénonçait les « dérives », par exemple, de British Petroleum en Colombie.

La FIDH (114 ligues, 1millions de membres) est présente à tous les sommets de contestation depuis l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement) en 1998. Elle multiplie les enquêtes sur les institutions financières, sociétés transnationales ou accords du commerce et leur impact sur les « droits humains ».

Enquête et contrôle.
Le déclic de la FIDH remonte à 1995. Elle livre alors un réquisitoire implacable contre Total en Birmanie. L’ONG a eu le sentiment de « frapper juste ». Du coup, elle a mis des avocats et économistes sur le dossier de la mondialisation. En 2000, la FIDH est arrivée à Prague, lors de la réunion FMI-Banque mondiale, avec un autre rapport sur le très controversé pipeline Tchad-Cameroun sur lequel elle a travaillé avec HRW et les amis de la terre. La Banque, depuis, sollicite régulièrement son avis. La FIDH ne se place pas seulement dans le registre de la confrontation. Il y a trois ans, elle a mis en place « un mécanisme de contrôle » avec Carrefour, afin de procéder à une centaine d’audit sur les conditions de travail de ses filiales textiles.

De la morale au droit
En dépit de leur crainte de « la récupération », les mouvements de la contestation voient plutôt d’un bon œil l’arrivée des ONG des droits de l’homme sur leur secteur. « les contestateurs comprennent les vertus du prisme des droits de l’homme, dit Francis Perrin, d’Amnesty. Le droit fait changer la nature du débat : de morale ou politique, elle devient juridique. On pourrait envisager des actions coordonnées avec les Anti. ». Un responsable d’Attac résume : « Avant, quand on rencontrait des militants des droits de l’homme, on avait peu de choses à leur dire. Désormais, c’est différent. La stratégie de maillage international, de nouvelles solidarités, joue à plein. » Les passerelles se constituent entre syndicats, écologistes, mouvements de solidarité.

Se donner de nouveaux outils d’analyse
Promouvoir des instruments de mesure comme celui du développement humain, créé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ; distinguer, par exemple, les richesses premières (ressources anthropologiques et ressources écologiques) et les richesses dérivées, qui supposent l’existence des précédentes ; créer un « indicateur de destruction » pour faire apparaître dans une rubrique négative ce qui détruit les humains et la nature (accidents, pollution, etc.), tout en contribuant au PIB ; à l’inverse, faire apparaître les non-dépenses dues à la prévention. Bref, reconstruire le champ de l’économie à partir d’un lexique qui lui donne du sens en ne réduisant pas la personne humaine à une valeur comptable. Un chantier urgent pour les économistes non englués dans le conformisme libéral.

Empêcher le dévoiement du multimédia
L’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, avec Internet pour emblème, est entrain de créer une « société de l’information » au service exclusif du commerce, du pouvoir des groupes géants et de l’hégémonie américaine. Le citoyen en est largement exclu. Or ces technologies, qui interviennent dans la quasi-totalité des activités humaines, ne sont neutres : elles structurent les manières d’apprendre, de penser, de produire, d’échanger, de décider et de représenter le monde. Les pouvoirs publics doivent donc faire de leur appropriation sociale une des bases de l’éducation civique de l’ensemble de la population. Et, pour cela, mettre à contribution les grandes sociétés du secteur, au lieu de leur livrer clés en main l’accès aux établissements scolaires. Cette taxation freinera la diffusion du multimédia, provoquera des retards.

Garantir un revenu à tous
La mutation informationnelle permet de produire toujours plus de biens et de services avec toujours moins de travail humain. Ce qui devrait être une bonne nouvelle sert trop souvent de justification à la mise à l’écart de pans entiers de la population. Il faut inverser cette logique, retourner les armes du (reconfiguration) au service des citoyens. Se demander d’abord quelle société nous voulons et utiliser les nombreux outils disponibles, en premier lieu les outils politiques et technologiques, pour lui donner vie. Oui, il est financièrement et techniquement possible de donner à chacun cette sécurité personnelle minimale qu’est la garantie d’un revenu décent et de prestations sociales fondamentales, indépendamment de l’occupation d’un emploi.
Nouvelle distribution du travail et des revenus dans une économie plurielle dans laquelle le marché occupera seulement une partie de la place, avec un secteur solidaire et un temps libéré de plus en plus importants.

Donner sa place au Sud
Donner sa place au Sud, c’est mettre fin aux politiques d’ajustement structurel ; annuler une grande partie de la dette publique ; augmenter l’aide au développement, alors qu’elle est en chute libre ; promouvoir, notamment par le co-développement, des économies autocentrées ou en tout cas moins extroverties, seules garantes d’une croissance saine et de la sécurité alimentaire ; investir massivement dans la construction d’écoles, de logements et de centres de santé ; donner accès à l’eau potable au milliard d’humains dépourvus, etc.

Construire un espace public planétaire
Si la nation est le seul cadre dans lequel les citoyens peuvent effectivement exercer l’intégralité de leurs droits démocratiques, du moins quand ils en ont, la globalisation des problèmes à régler et celle des acteurs dominants (marchés financiers, entreprises transnationale) imposent des régulations à l’échelle mondiale. C’est le rôle théorique des organisations internationales et des agences intergouvernementale, dont les pouvoirs doivent être renforcés.

Désarmer le pouvoir financier
L’indispensable retour au primat du politique et des droits des citoyens implique une reconquête des espaces perdus au profit de la sphère financière. Certains des moyens à utiliser sont bien connus : taxation significative du capital, des revenus financiers et des transactions sur les marchés des changes (taxe Tobin).
Interdiction, pour les entreprises publiques et parapubliques, d’ouvrir des comptes dans des banques ayant des succursales dans des paradis fiscaux, dont la liste devra être régulièrement mise à jour et largement diffusée. Campagne internationales auprès des actionnaires des entreprises privées en vue du même objectif. Exigence de la levée du secret bancaire, en particulier en Suisse et au Luxembourg. Refus des fonds de pension comme solution de rechange aux systèmes de retraite par répartition. C’est sur ces thèmes que doit travailler (…).

L’anti-mondialisation
Les anti-mondialistes n’ont pas tort lorsqu’ils disent que le grand problème posé au nantis du XXIe siècle sera la misère des nations prolétaires. Le capitalisme a toujours eu ses laissé-pour-compte. Et il y a toujours eu, à chaque étape de son développement, des contre-pouvoirs qui l’ont contraint à prendre en compte ces incomptés.
Pourquoi l’époque ferait-elle exception ? Pourquoi le nouvel empire mondial saurait-il, mieux que ses prédécesseurs, et sans rapport de forces l’y obligeant, réguler ses effets pervers ? Pourquoi ne pas savoir gré à Attac d’incarner ce rapport de forces et de forcer le club des puissants à considérer les deux milliards d’hommes et de femmes qui vivent avec moins de dix francs par jour ?
Les anti-mondialistes n’ont pas tort quand ils proposent, au titre des mesures d’urgence, d’annuler purement et simplement la dette des pays les plus pauvres. Cette dette, généralement contractée par des dictateurs déchus, ces sommes colossales, prêtées avec une légèreté coupable, et dont l’essentiel est allé grossir les comptes numérotés des dictateurs en question, saigne les peuples. Elle les étrangle. Elle n’a, dans des pays dont la moitié du budget sert à la rembourser, plus aucun sens économique depuis longtemps. Il est, non seulement juste, mais techniquement possible d’effacer la dette.

Les anti-mondialistes n’ont pas tort quand, pour lutter contre les effets dévastateurs de la spéculation sur les monnaies, ils appellent à l’instauration d’un impôt mondial type « taxe », de faible montant, assis sur les mouvements internationaux de capitaux à court terme, et dont le produit serait affecté à un fond d’aide aux pays les plus démunis.

Les anti-mondialistes ont raison quand, face aux grandes épidémies du siècle, ils hurlent que les maladies sont au Sud, mais que les médicaments sont au Nord et qu’annoncer, comme à Gênes, la création d’un fond de santé doté de moins du dixième des ressources réclamées.
Les anti-mondialistes ont raison, enfin, de se battre pour que soient soustraits à la seule logique marchande ces »biens communs » que sont le climat, la santé, la sécurité alimentaire, les gênes, peut-être la culture.

Bibliographies et sources documentaires
Gérard, Duménil et Dominique Lévy,au-delà du capitalisme, PUF, coll. « Actuel Marx-confrontation », Paris, 1998.

François Furet, le passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Robert-Laffont-Camann-Lévy, Paris, 1995.

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Giovanni, Levi, le passé lointain. Sur l’usage politique de l’histoire, in les usages politiques du passé, Edition de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris 2001.

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La pensée politique, co-dirigée par Marcel Gauchet, Pierre Manent et Pierre Rosanvallon et éditée aux Editions gallimard, le seuil, coll. « Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ».

Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Rapport mondial sur le développement humain, Edition Economica, Paris, 1997.